Note de lecture – Relais 106
F. Gerber, Qui a tué Mermoz ?, Privat, Toulouse, 2009, 16,00 €
Sous un titre un peu provocateur – alors que l’on sait que Jean Mermoz a disparu avec son équipage au-dessus de l’Atlantique en décembre 1936 -, François Gerber revient sur les circonstances de la mort de celui que l’on surnommait dans les années trente « l’Archange ». L’auteur, avocat de profession mais historien dans l’âme, avait déjà publié un livre sur l’engagement d’Antoine de Saint-Exupéry pendant la Seconde Guerre mondiale. S’appuyant sur les précédents ouvrages autour de Jean Mermoz, sur la presse de l’époque et sur des archives inédites récemment mis en vente aux enchères, François Gerber décortique le contexte de 1936 et les circonstances de la disparition d’un des plus célèbres pilotes français. Selon lui, plusieurs éléments techniques et politiques sont à prendre en compte.
Tout d’abord, l’hydravion Latécoère 301 Croix-du-Sud n’a jamais été un appareil totalement fiable, défaillant dans sa conception dès ses premiers essais ; il avait cependant été accepté par une administration favorable à son constructeur Pierre-Georges Latécoère, qui dispose d’amitiés, d’appuis et de soutiens à tous les niveaux de l’État.
L’accident et la perte le 10 février 1936 d’un appareil identique, le Ville de Buenos Aires, démontrent ces carences rapportées dans un rapport après l’accident, constatées et reconnues par les mécaniciens et les pilotes, mais cachées officiellement. Le gigantisme est à l’ordre du jour dans la politique aérienne française, alors que les « paquebots volants » ne sont plus considérés comme économiquement rentables. Dans cette analyse, le contexte politique joue également un rôle. François Gerber met ainsi en avant l’inconstance d’un gouvernement et d’un ministre de l’Air, Pierre Cot, peu enclin à soutenir l’aviation française, ouvertement opposé aux amis politiques de Jean Mermoz, le Parti Social Français du colonel de La Roque, et dont l’administration ne pense qu’à travers une réglementation souvent contraignante et dépassée. L’auteur déplore et dénonce surtout sur le choix français évident et malheureux, de l’hydravion, une « fascination française », souligne-t-il , qu’aucun autre pays européen ayant une aviation digne de ce nom, que ce soit l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni, ne partage. Cette obstination administrative et partisane met ainsi en marge des avionneurs de qualité, notamment René Couzinet et son Arc-en-ciel, avion – et non hydravion – sur lequel Jean Mermoz parvient, après de nombreux tracas administratifs, à voler et à établir un record mémorable en janvier 1933.
Quant à l’engagement politique de Jean Mermoz, il est clair et dérangeant. François Gerber apporte un décryptage intéressant sur le rôle de « l’Archange » dans le PSF, sur son poids politique, mais aussi médiatique, dans le contexte agité de la IIIe République et de la guerre d’Espagne. Si les amis de Mermoz – Antoine de Saint-Exupéry notamment – s’émeuvent de cet engagement, le ministère de l’Air s’inquiète et a bien du mal à gérer un héros populaire qu’il ne peut marginaliser au vu de ses exploits. Bien documenté et appuyé sur des éléments techniques et historiques solides, cet ouvrage intelligent apporte en définitive un éclairage intéressant sur la disparition de Jean Mermoz, notamment par son approche du contexte qui permet d’aller au-delà de la panne mécanique du Croix-du-Sud et de l’événement tragique du 7 décembre 1936 (LA).